Romain Besombes est masseur kinésithérapeute depuis vingt ans, élu au sein de l’URPS (Union Régionale des Professionnels de Santé) des masseurs kinésithérapeutes, en charge de l’exercice coordonné pour l’Occitanie. Il expose les rouages de ce nouvel accès direct en expérimentation dans trois départements de la région.
Infoccitanie : En quoi consiste cet « accès direct » aux masseurs kinésithérapeutes ?
Romain Besombes : Il s’agit de la possibilité donnée aux patients, dans certains départements en Occitanie, de pouvoir bénéficier des soins d’un kinésithérapeute, sans ordonnance auprès d’un médecin traitant ou d’un médecin quelconque. L’arrêté date du 8 juin 2025, faisant suite à un décret paru au Journal Officiel le 28 juin 2024. L’expérimentation durera cinq ans et concerne le Gers, l’Aude et le Tarn. Il y avait une volonté de mélanger des zones non prioritaires et des zones sous-dotées, avec l’obligation, pour figurer dans l’expérimentation, d’être pourvu le plus efficacement possible en CPTS, chargées d’organiser le parcours du patient. L’expérimentation couvre vingt départements en France. L’Occitanie est la seule région à en avoir trois.
InfOccitanie : Pour quelles raisons cette expérimentation a vu le jour ?
Romain Besombes : Les patients ont du mal à avoir des ordonnances pour bénéficier de soins de kinésithérapie. Les médecins sont de moins en moins disponibles, les délais d’attente s’allongent. L’accès direct est possible aujourd’hui dans la moitié des pays d’Europe, cela fonctionne très bien. Il n’a été observé aucune « sinistralité » supérieure à ce qui peut être observé dans une prise en charge classique avec ordonnance. Entre 2015 et 2020, selon l’assurance MACSF, il n’y a eu aucune plainte pour un accident survenu dans ce contexte d’accès direct, notamment dans les centres hospitaliers où l’accès direct est possible.
InfOccitanie : Vous dénoncez par ailleurs des pathologies qui tardent à se soigner et se « chronicisent ». Pouvez-vous nous en dire plus ?
Romain Besombes : Lorsque le patient attend, la pathologie devient plus difficile à soigner. Une lombalgie aigüe peut basculer sur une lombalgie chronique qui dure trois jours, si elle n’est pas soignée à temps. La prise en charge devient ainsi plus complexe, avec un temps de rééducation plus important. Une tendinopathie qui n’est pas prise en charge à temps va également se chroniciser et sera plus longue à la rééducation.

InfOccitanie : Vous enlevez le pain de la bouche des médecins en quelque sorte… Sont-ils favorables à cette mesure ?
Romain Besombes : En effet, force est de constater que certains médecins évoquent la « sécurité » du patient et souhaitent garder cette compétence de prescription. Je précise que nous travaillons de manière horizontale, chacun dispose de ses compétences. Les kinésithérapeutes ont l’obligation de se former continuellement durant leur carrière, cette expérimentation va permettre de montrer leur pleine capacité à recevoir des patients en première intention.
InfOccitanie : L’intérêt du médecin n’est-il pas d’identifier le degré de gravité de la pathologie afin d’orienter vers le bon praticien ?
Romain Besombes : Tout l’intérêt d’aller voir un masseur-kiné en première intention est de bénéficier d’un bilan kinésithérapique complet. Le kiné va identifier les éléments qui concourront à une prise en charge en rééducation. Pour autant, si des troubles ne permettent pas une prise en charge, ou si une urgence de type cancer ou de type chirurgical est suspectée, alors nous orientons vers le médecin. Nous ne sommes pas là pour poser des diagnostics médicaux, mais nous avons la capacité d’identifier si un examen médical plus complet est à faire par la suite. Par ailleurs, lorsque la pathologie est connue, pour un ancien patient qui vient nous voir par exemple, nous avons la possibilité de faire autant de séances que nécessaire. En revanche, si la pathologie n’a pas été fixée par un diagnostic médical, l’expérimentation nous limite à huit séances. Au-delà, nous orientons vers le médecin. Il n’y a pas de « perte de chance », pas de retard de pris en charge.
InfOccitanie : Existe-t-il une communication kiné / médecin traitant dans le cadre de cette expérimentation ?
Romain Besombes : Bien sûr, un bilan diagnostic kinésithérapique (BDK) est transmis au médecin traitant et incrémenté dans le dossier médical partagé. Le patient n’est pas lâché dans la nature, il n’a pas à avoir peur de concourir à cette expérimentation. Tout est bien organisé, bien fléché, dans le cadre d’une prise en charge horizontale où le médecin et le kinésithérapeute travaillent main dans la main.
InfOccitanie : Vous pointez également des prescriptions rédigées par des médecins quelquefois inadaptées, c’est-à-dire ?
Romain Besombes : En effet, lorsqu’on recoit des prescriptions de kinésithérapie de la part d’un médecin, elles sont parfois inadaptées et mal formulées. On se retrouve des fois avec une incapacité de prise en charge puisque l’ordonnance a été mal dressée.
InfOccitanie : Le patient a-t-il des démarches à faire auprès de la CPAM ou de son médecin traitant ?
Romain Besombes : Aucune démarche pour le patient, tout se fait automatiquement. Du côté du kiné en revanche, il a l’obligation d’être inscrit sur une plateforme, opérationnelle depuis le 15 juillet dernier.
InfOccitanie : Cet accès direct existe-t-il dans d’autres établissements ?
Romain Besombes : Il existe déjà dans les lieux d’exercice coordonné, les centres hospitaliers, les Ehpad, les Maison de santé pluriprofessionnelle (MSP) et les centres de santé. Cela concerne 7 à 8% de kiné, c’est marginal, mais cela fonctionne très bien dans ces structures.
InfOccitanie : Vous y voyez un avantage considérable, les économies réalisées en matière de santé…
Romain Besombes : On parle d’économiser 40 milliards dans le budget 2026… Un accès direct au kiné évite de patienter avec une prise en charge médicamenteuse, des consultations en radiologie, scanner et IRM qui mettent plusieurs mois à arriver. Cette prise en charge permet de réduire rapidement les symptômes inflammatoires douloureux par exemple.
InfOccitanie : Un mot pour la fin ?
Romain Besombes : Il faut savoir que nous sommes accompagnés par le Conseil régional de l’Ordre des masseurs kinésithérapeutes dans le cadre de cette expérimentation, qui est ainsi validée par notre instance déontologique. Il est intéressant que cette expérimentation soit généralisée par la suite à la France entière. Cet accès direct doit être un modèle à généraliser.