Gard : Perrier à Vergèze, pourquoi personne n’a informé le procureur ?

Traitement des eaux minérales dites "naturelles" de Nestlé Waters, pourquoi l'omerta a régné ?
© Linda Mansouri / InfOccitanie. Conférence de presse, 7 février, préfecture du Gard. Commission sénatoriale sur les eaux minérales Nestlé Waters. .

Le feuilleton Nestlé Waters livre un nouvel épisode. Propriétaire de la marque Perrier, dont le site de production est situé à Vergèze, la multinationale est à l’origine depuis 2021 de controverses concernant la production de ses eaux minérales. L’entreprise a admis avoir employé des méthodes de désinfection interdites par la réglementation pour assurer la qualité de ses eaux minérales, incluant des marques reconnues telles que Perrier, Vittel, Hépar, et Contrex.

Une note de la direction générale de la santé

En avril dernier, souvenez-vous, Perrier a dû cesser d’exploiter un forage et détruire « par précaution » deux millions de bouteilles, après la découverte de bactéries « d’origine fécale » à la suite de fortes pluies. Radio France et Le Monde ont fait état d’une note du 20 janvier 2023 du directeur général de la santé (DGS) Jérôme Salomon, qui recommandait de « suspendre immédiatement l’autorisation d’exploitation et de conditionnement de l’eau pour les sites Nestlé des Vosges » (Hépar, Contrex, Vittel) et d’étendre cette interdiction « au site d’embouteillage de Perrier » dans le Gard. En vain.

Le rapport de la commission rendu dans six mois

Pour faire lumière sur cette affaire, une commission sénatoriale a vu le jour en novembre dernier, ayant pour but d’enquêter sur « les pratiques des industriels de l’eau en bouteille et les responsabilités des pouvoirs publics dans les défaillances du contrôle de leurs activités » Elle a été mise en place à l’initiative du groupe socialiste, écologiste et républicain, et est présidée par le sénateur gardois Laurent Burgoa.

Commission d’enquête sénatoriale sur les eaux minérales Nestlé Waters, 7 février, préfecture du Gard. Crédit photo : Linda Mansouri, InfOccitanie.

Dans le cadre de ses travaux, la commission d’enquête a fait étape vendredi 7 février dernier au matin, sur le site de production Perrier à Vergèze. Sur place, le parlementaire Alexandre Ouizille, sénateur de l’Oise, rapporteur de la commission, a constaté la présence des « armoires dans lesquelles étaient dissimulés les traitements illégaux par ultraviolet des eaux minérales naturelles ». Sur la certification d’eau minérale naturelle, le sénateur est unanime : « les traitements ne sont pas conformes à la définition de l’eau minérale naturelle, du point de vue de la direction générale de la santé et de l’audit de la Commission européenne. »

0,2 au lieu d’un seuil autorisé de minimum 0,8 micron

Toute la nuance se situe dans le processus de micro-filtration. Nestlé utilise en effet des filtres à 0,2 micron, contre un seuil autorisé égal ou supérieur 0,8, en-deça duquel la filtration est assimilée à une désinfection. Dans le Gard, le préfet a indiqué à Nestlé « qu’il avait deux mois pour faire la démonstration que la filtration ne change pas le microbiome de l’eau (flore microbienne) ». Pour Antoinette Guhl, sénatrice et membre de la commission : « deux fraudes sont avérées, celle de l’étiquette d’eau minérale naturelle sur les bouteilles Perrier notamment, et celle de la qualité des eaux, puisque deux puits ont été déclassés et utilisés pour Maison Perrier ». En effet, pour continuer à exploiter les forages à la qualité dégradée, Nestlé Waters a créé une nouvelle marque, Maison Perrier, des boissons à base d’eaux traitées et vendues sans la mention eau minérale.

Nestlé défend ses eaux minérales

« Toutes nos eaux aujourd’hui sont pures à la source« , affirmait il y a quelques jours à l’AFP Muriel Lienau, directrice générale de Nestlé Waters. Celle-ci demande une clarification sur les processus de microfiltration utilisés sur les eaux minérales en France. « La sécurité alimentaire de nos produits n’a jamais été en jeu et la sécurité sanitaire des consommateurs a toujours été assurée. La composition minérale de nos eaux n’a jamais été altérée. (…) Nous n’avons jamais fait pression sur aucun décideur public« , justifie-t-elle, tout en dénonçant des informations « anxiogènes » pour les consommateurs et les 1.500 salariés de Nestlé Waters en France.

L’Elysée soumise au lobby des eaux ?

Selon Le Monde et Radio France, de nombreux échanges de courriels et de notes ministérielles laissent sous-entendre que l’exécutif a privilégié les intérêts de Nestlé au détriment de la santé des consommateurs. Mediapart a, pour sa part, révélé que Nestlé aurait même bénéficié d’un accord de l’État pour poursuivre ses opérations. Le président de la République a assuré qu’il n’y avait aucune forme de « connivence » ou « d’entente », comme l’ont rapporté nos confrères du Monde et de l’AFP. « Si certains noms cités dans la presse ont un lien avec cette affaire et que cela peut être prouvé, alors je demanderai à ces personnes qu’elles soient auditionnées », clarifie le sénateur Laurent Burgoa. Le rapport de ladite commission sera rendu dans 6 mois avec l’audition de la direction Nestlé prévu dans quelques jours.

Quid de l’article 40 ?

Alexandre Ouizille dénonce alors « l’incurie administrative » dans cette affaire gardoise, constatant que « personne n’a déclenché l’article 40* du code de la procédure pénale », obligation pour les institutions de rapporter au procureur de la république un fait délictueux porté à leur connaissance. « Est-on face à des arbitrages politiques rendus en contre-arbitrage de la Direction générale de la santé ? », se questionne le sénateur de l’Oise. Le nombre d’emplois sur le site Perrier de Vergèze (environ 1000) aurait-il découragé les prises d’initiative ? Un potentiel lobby de Nestlé Waters sur le gouvernement aurait-il étouffé d’éventuelles alertes ? Le doute plane.

*Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs.

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