Il y a vingt ans, le 27 octobre 2005, Zyed Benna, 17 ans, et Bouna Traoré, 15 ans, mouraient électrocutés dans un transformateur électrique à Clichy-sous-Bois. Ils avaient voulu s’y réfugier pour échapper à la police, paniqués, après une course-poursuite. Les deux adolescents jouaient au football avant le drame (en savoir plus sur la chronologie des faits ici). L’annonce de leurs décès avait déclenché une révolte des banlieues pendant des semaines telle que le pays avait été placé sous état d’urgence. Les familles de Zyed Benna et Bouna Traoré ont organisé hier un hommage à Clichy-sous-Bois, vingt ans après leur décès.
« Deux adolescents morts pour rien »
« Je me souviens de Zyed et Bouna, je me souviens de l’ébranlement ressenti, de la forte mobilisation militante. (…) Je n’imaginais pas à cet instant qu’un jour les quartiers populaires disparaitraient du débat public, je n’imaginais même pas qu’on pouvait les envier et croire qu’ils étaient trop « aidés » comme le laisse croire l’extrême droite (et toute une partie de la droite aujourd’hui). Je ne pensais pas qu’on assassinerait, car c’est un assassinat d’Etat, le tissu associatif tellement vivant, tellement vital dans les quartiers populaires. Je ne pensais pas qu’on y fermerait les médiathèques. (…) Je ne pensais pas qu’on tuerait les associations de sport et loisir, les cinémas en plein air, la prévention spécialisée, les ateliers théâtre, la guidance infantile.
« Je n’imaginais pas à cet instant qu’un jour les quartiers populaires disparaitraient du débat public »
Je ne pensais pas que j’y verrai disparaître à petit feu les centres commerciaux où ma voisine travaillait à l’époque. Je n’imaginais pas que le narcotrafic pouvait s’y installer et faire plier (pleurer) une partie de la jeunesse livrée à elle-même. Je ne pensais pas que s’y développeraient les addictions aux paris sportifs qui poussent des jeunes à trouver de l’argent pour satisfaire leurs addictions mais aussi pour exister dans une société qui les somme de faire de l’argent quand elle les a totalement abandonnés.
« Tout a empiré »
Non, ce n’est pas que rien n’a changé dans les quartiers populaires, c’est que tout a empiré. Au moment où on ne parle que de la peur du « déclassement » de la classe « moyenne », on peut imaginer ce qu’il en est de la classe au-dessous : une partie d’entre elle s’est faite avaler par la grande pauvreté. Je n’ai jamais voulu parler » au nom » des quartiers populaires, ni hier quand j’y vivais ni aujourd’hui où je n’y vis plus. Je n’ai jamais aimé ceux qui parlaient « pour nous » sans « nous » connaître, de façon abstraite. Alors, je ne parlerai pas au nom des quartiers populaires mais je vais parler en tant que militante communiste.
« Pourquoi les organisations de gauche n’ont jamais vraiment réussi à politiser les revendications des quartiers populaires »
Ma grande question a toujours été pourquoi les luttes des quartiers populaires tellement importantes, intenses, vives et riches, pourquoi ne parviennent-elles jamais à prendre véritablement une dimension nationale et à compter dans l’agenda politique ? Pourquoi ces luttes nombreuses restent toujours confinées, condamnées à l’omerta du silence ? Pourquoi les organisations de gauche n’ont jamais vraiment réussi à politiser les revendications des quartiers populaires (car toutes les organisations n’ont pas déserté). Ce sont quelques questions que je laisse en suspend.
Mais, en tant que militante communiste, je suis préoccupée par une autre question, tout aussi importante à mes yeux : pourquoi nous sommes impuissants à gauche à rassembler les luttes des quartiers populaires et celles des jeunesses rurales et périurbaines ? Pourquoi nous sommes impuissants à construire une contre-offensive idéologique et politique pour dire que la jeunesse rurale vit dans la même galère que celle des quartiers populaires ? Cette jeunesse qui, pour partie, ne vote pas et se trouve hors des organisations politiques et syndicales.
« Il ne faut jamais cesser d’espérer »
J’ai sans doute quelques réponses mais surtout et encore beaucoup de questions. Je sais que je rêverais de voir ces jeunesses rejoindre en masse le Parti communiste et la lutte syndicale, pas du tout ou pas seulement pour qu’ils aillent voter, c’est bien de voter mais ça ne suffit pas. Non, mais pour les voir se saisir de ces outils que sont les organisations politiques et syndicales, de ferrailler à mener le rapport de force, de forcer à ce qu’on les reconnaisse enfin comme des citoyen-n-es de plein droit, comme des salarié-e-s (même précaires), comme des hommes et des femmes, une jeunesse en lutte et les voir enfin dire pour eux-mêmes et pour la société, dire la société qu’ils et elles souhaitent. Voir ces jeunesses arracher des victoires et être enfin prises au sérieux, être pris pour des acteurs et actrices de notre histoire commune. Il ne faut jamais cesser d’espérer ».
