La loi ‘Zéro artificialisation nette’ donne la migraine aux élus locaux tant elle soulève une déconnexion avec les réalités du territoire.
Projetez-vous quelques secondes dans la peau du maire de votre commune. Les entreprises tapent à votre porte pour s’installer chez vous, les riverains vous réclament un rond-point depuis des années et les futurs habitants pestent faute de logement disponible. Imaginez qu’en plus de ces sollicitations, une loi vous impose de réduire drastiquement votre consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers, jusqu’à atteindre 0% à l’horizon 2050. Ce dispositif existe, il s’agit du ‘Zéro artificialisation nette’, découlant de la loi ‘Climat et Résilience’ de 2021. Que l’on soit clair, Frédéric Touzellier en épouse le bien-fondé. « Elle nous pousse à faire des choix au profit de la préservation de l’environnement et à prioriser certains de nos projets », précise le président du SCOT Sud Gard, 3e d’Occitanie avec 380 000 habitants, 82 communes et 6 EPCI (Etablissements publics de coopération intercommunale). C’est dans le mode de répartition que le bât blesse.
La loi ZAN impose -50% de consommation de foncier entre 2021 et 2031 par rapport à la décennie précédente. Ainsi, une communauté de communes qui a artificialisé 100 hectares entre 2011 à 2021 ne pourra artificialiser que 50 hectares entre 2021 et 2031. Les régions vont donc devoir composer avec une ressource foncière de plus en plus rare et des profils de territoires en leur sein très hétérogènes en matière de consommation d’espaces. C’est le cas pour la Région Occitanie à qui il revient d’indiquer dans son Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET), la façon dont cet objectif de sobriété se répartira entre les 13 départements. « Nous avons une carte coupée en deux avec des dynamiques économiques très différentes entre le littoral bien développé et l’arrière-pays qui l’est bien moins. Par ailleurs, toutes les communes ne sont pas surdimensionnées à l’image de Toulouse et de Montpellier », pointe le maire de Générac.
« Une loi descendante plutôt qu’ascendante »
Charge aux communes d’arbitrer entre différents objectifs de politiques publiques aussi légitimes que contradictoires, voire concurrents. Maintenir les espaces agricoles, préserver la biodiversité, répondre à la diversité des besoins de logements, accueillir des activités économiques, construire des infrastructures de transport à l’image du CoNim ? « Il faut savoir que nous sommes les seuls en Europe à mettre en place ce type de dispositif », précise Frédéric Touzellier qui s’est entretenu avec le sénateur du Vaucluse Jean-Baptiste Blanc. Ce dernier est rapporteur d’une mission de suivi de l’application concrète du ZAN.
« Laissez les maires en responsabilité »
« C’est une loi descendante plutôt qu’ascendante, elle ne part pas d’une volonté politique des élus de terrain », regrette Frédéric Touzellier. Ce dernier note par ailleurs un déséquilibre dans la gouvernance des décisions à l’échelle locale. Le syndicat du SCOT sud Gard, organisme de coopération supracommunal, premier à mettre en œuvre les projets d’aménagements sur le territoire, apparait en minorité aux cotés des EPCI et des autres collectivités. « Alors que nous devrions être le pendant avec la Région, cela nous indispose », livre le 1er vice-président de Nîmes métropole.
L’ambition du SRADDET est claire, les territoires qui ont été les moins dynamiques se verront attribuer des surfaces au détriment de ceux qui se sont davantage développés. Frédéric Touzellier éructe : « Si l’on s’est autant développé, c’est qu’il y avait une forte demande, en matière économique et de logement sur notre territoire ». L’élu en appelle au bon sens et la fin du « diktat ». « Il faut laisser les maires en responsabilité s’adapter au niveau de leur PLU (Plan Local d’Urbanisme, ndlr) afin de se conformer à la démarche du SCOT », propose-t-il. Les territoires devraient ainsi définir leurs besoins en fonction de leur typicité et de leurs contraintes. « On suggère de prendre en compte les désidératas de structures politiques locales plutôt que de nous les imposer. Sans compter que la capacité en alimentation en eau conditionne beaucoup de nouvelles constructions », abonde l’élu. Franck Proust, président de Nîmes Métropole, auditionné il y a quelques jours au Sénat, en a profité pour faire remonter aux législateurs les incohérences de textes difficilement applicables si l’on veut que nos territoires continuent à vivre.
« Je devrai répartir 600 hectares sur mes 82 communes »
« Sur mes 82 communes du SCOT, la demande est de 1200 hectares de développement économique, de logements, d’équipements publics dont la voirie… Après calcul, je devrai repartir environ 600 hectares dans les années à venir ! », désespère l’élu. A noter, sur la répartition de 2021 à 2031, il convient d’enlever les zones qui ont été urbanisées entre 2021 à 2024, réduisant encore l’enveloppe restante. Une injustice qui passe mal pour le vice-président à l’Agglo : « les territoires qui se sont fortement développés devront finalement réduire l’artificialisation, non pas de 50 mais de 60%, ce qui contraindra encore plus l’enveloppe à répartir ! ». Le combat s’annonce rude pour la répartition du foncier entre les 6 EPCI du SCOT Sud Gard, puis entre chaque commune des EPCI, « chacun voudra sa pierre à l’édifice ».
Construire la ville sur la ville ?
Construire la ville sur la ville et ajouter des étages aux immeubles ? Une perspective qui accentuerait les effets néfastes de la densification urbaine. « Sans compter les contraintes de voirie, de stationnement… », liste Frédéric Touzellier. « La loi est intelligente si elle est adaptée à la situation. Les EPCI et les SCOT doivent être forces de proposition quant au mode de répartition du foncier », propose-t-il. Les évaluations territoriales de la consommation de foncier et des espaces qui restent à artificialiser doivent être faites d’ici 2026. Frédéric Touzellier fustige un délai d’évaluation de deux ans « trop court », là où un mandat de maire aurait été volontiers nécessaire. « Dans un territoire gardois à presque 10% de chômage, on ne peut pas refuser l’installation de nouvelles entreprises », conclut le maire de Générac.