Didier Lassegnore exerce la médecine généraliste depuis 37 ans, en activité libérale à Uzès dans le Gard depuis 25 ans. Le praticien aborde les fragilités du système de santé qui nourrissent le manque d’attractivité de la médecine généraliste aujourd’hui.
InfOccitanie : Quelle amplitude horaire avez-vous ?
Dr Didier Lassegnore : je travaille entre 11h et 14h par jour. Concernant les patients, je peux en recevoir entre 35 et 50, cela dépend des jours et des pathologies. Une angine est traitée plus rapidement qu’une longue pathologie. Au début de la journée, on ne sait pas ce que l’on va prendre en charge. Cela dépend également des sollicitations des patients, certains viennent en consultation avec une dizaine de questions à poser.
Qu’est-ce qui explique aujourd’hui la pénurie de médecins dans certains territoires français ?
L’attractivité est un problème central. La Caisse Primaire d’Assurance Maladie, et donc le ministère de la Santé, maintient depuis longtemps des honoraires en médecine généraliste relativement bas. Les honoraires des médecins généralistes en France sont parmi les plus bas d’Europe. En outre, on demande beaucoup aux médecins généralistes en matière de tâches administratives. Nous avons en charge les dossiers administratifs APA (Allocation personnalisée d’autonomie, ndlr), les dossiers pour la Maison Départementale pour les Personnes Handicapées (MDPH), les arrêts de travail, etc. Les médecins sont surchargés.
Votre secrétaire ne peut-elle pas vous délester de ce poids ?
Elle peut en effet prendre en charge certaines tâches, mais d’autres ne sont pas accessibles car il est nécessaire de disposer de la carte vitale et d’avoir un accès au site Ameli. Une convention a été signée, les honoraires vont passer à 30 euros en décembre prochain, cela ne changera strictement rien. Le système aurait dû être mis à plat depuis déjà bien longtemps. Il aurait fallu arrêter de considérer qu’une consultation, quelle que soit sa longueur, implique la même rémunération pour le médecin. Aujourd’hui, une forme de pression existe sur les médecins qui ont voulu se déconventionner parce que les honoraires des médecins généralistes sont restés trop bras.
Quelles sont les attentes des jeunes médecins selon vous ?
Ils veulent un exercice dans des structures avec plusieurs médecins, avoir plus de temps libre avec des horaires plutôt resserrés. Quelque part, ils ont peut-être raison, l’exercice médical n’est peut-être plus l’activité d’une vie comme ce fut le cas autrefois où les médecins se rendaient également à domicile. Je pense que les jeunes médecins voudraient une recotation de l’acte médial, qui pourrait être liée au temps passé et au nombre de questions posées. Beaucoup de médecins de plus de 65 ans, qui pourraient travailler plus longtemps, en ont un peu marre d’être en sous-cotation, alors même qu’ils font face à une demande grandissante pour prendre de nouveaux patients et pallier la désertification médicale. Il ne faut pas avoir honte, le problème n’est pas la vocation, mais le côté financer qui est un des facteurs déterminants.
Les maisons médicales sont-elles une solution pérenne ?
L’Assurance malade multiplie les financements pour ce genre d’établissement. Vous pouvez les créer, mais si aucun médecin n’est trouvé pour exercer à l’intérieur, quel est l’intérêt ? On demande aux médecins de participer aux permanences de soin, soit. Donc les médecins, qui ont déjà une très longue journée, sont contraints de se plier aux permanences de nuit ? Cela les amènerait à terme à l’épuisement.
A long terme, à quoi ressemblera la médecine si aucune solution n’est mise en œuvre ?
Le système va exploser. Beaucoup de médecins vont sortir du système conventionné pour faire le tri dans leur patientèle et facturer la consultation au prix qu’ils veulent. En Angleterre, plus de patients sont inscrits, plus vous êtes rémunéré. Une patiente anglaise que j’ai reçue m’a expliqué que le médecin de son quartier avait une patientèle de 4600 patients ! Le système est perfectible là-bas aussi. En France, c’est lié à l’indigence des pouvoirs publics depuis des années, qui ont bloqué le système de numerus clausus et laissé se creuser l’écart entre médecins généralistes et spécialistes. Les patients se plaignent des fois d’une consultation chez le généraliste ayant duré 5 minutes. Heureusement que tous les spécialistes ne pratiquent pas comme ça, évidemment.
N’êtes-vous pas également rémunéré en fonction du nombre de patients ?
Nous avons des rémunérations en fonction des pathologies lourdes et des objectifs de santé, cela représente une faible partie. Les médecins préfèreraient ne pas bénéficier de cette rémunération complémentaire de la Sécurité sociale et pouvoir travailler de manière plus libre avec des horaires modulables. Un exercice libéral, mais raisonné. De fait, en raison de cette rémunération, les médecins perçoivent un sentiment de redevabilité.
Certaines communes rivalisent d’ingéniosité pour attirer les médecins, en proposant par exemple de faibles loyers. Est-ce un levier stratégique ?
Cela créée des tensions. Les médecins sont exonérés pendant 5 ou 6 ans puis certains quittent la ville. Il n’y a pas de système idéal, tout est perfectible. Il faut pouvoir former de nouveaux médecins, proposer des honoraires en rapport avec la modernité de la médecine, le temps passé pour chaque patient, les obligations règlementaires… Selon moi, tout le monde doit participer au système de santé. Ceux qui disposent d’une CMU ou CSS pourraient participer à hauteur de 5 euros.