Eric Bouget est propriétaire depuis plus de trente ans de l’hôtel*** Lou Garbin situé à Saint-Laurent-d’Aigouze dans le Gard. Un havre de paix qui se transmet de génération en génération, réunissant vingt chambres climatisées, deux piscines, un espace bien-être, un restaurant et même un boulodrome. Un patrimoine qu’Eric Bouget, également président de l‘Umih 30, tente de faire perdurer contre vents et marées, et notamment l’arrivée des plateformes de location telle que Airbnb. Zoom sur une action en justice de longue haleine.
InfOccitanie : qui est à la manœuvre de cette action judiciaire à l’encontre d’Airbnb ?
Eric Bouget : il s’agit d’une action collective menée par la branche nationale hôtellerie de l’UMIH (Union des Métiers et des Industries de l’Hôtellerie, ndlr). Vingt-six hôtels sont réunis dans cette action judiciaire fondée sur la concurrence déloyale avec préjudices moral et financier, à l’encontre d’Airbnb. Nous y travaillons depuis deux ans, le procès se tiendra au tribunal de Commerce le 4 septembre prochain.
Pourquoi si peu d’hôtels en France ont répondu par la positive ?
Je trouve aussi que c’est peu. La raison, c’est que des établissements hôteliers sont également sur Airbnb ! En tout cas, nous ne partons pas à la guerre la fleur au fusil. Nous avons pris un cabinet réputé parisien, Goldwin, qui a gagné contre Uber il y a deux ans. Même si cela peut prendre du temps, nous sommes sûrs de gagner à 90%.
Comment se porte l’hôtellerie dans le Gard ?
Trouvez-vous cela normal d’avoir dix chambres occupées sur vingt, le 1er août ? J’ai un hôtel 3 étoiles, et pourtant je propose des nuits à 85 euros, pas 150 euros comme le font d’autres. Dans le Gard, une quinzaine d’hôtel a disparu en cinq ans à-peu-près. La propriétaire du Best Western à Uzès était à 28 chambres occupées sur 66, le 28 juillet dernier. D’autres exemples en dehors du Gard se multiplient. Le président de l’Umih Dordogne a perdu 5 hôtels au premier semestre 2024…
Quels sont les facteurs explicatifs de cette baisse de fréquentation ?
Je suis à moins 40% par rapport à juillet 2023. J’ai tourné tout le mois de juillet à la moitié de mes capacités. En dehors des plateformes de location, il y a la météo capricieuse, le championnat de foot, les législatives, les JO… Il est certain que le volet pizza, chips, bière, lui, explose… 2024 ressemble aux années pré-Covid, soit les années 2015, 2016 et 2017.
Comment Airbnb affecte l’activité des hôteliers selon vous ?
Je tiens à préciser que nous ne sommes pas contre l’existence d’Airbnb. Le soleil se lève pour tout le monde. Nous exigeons toutefois que cette plateforme, qui vend du sommeil, soit encadrée, non pas par des règles relevant de l’habitation, mais de l’ERP, Etablissement recevant du public.
Quelle est la différence ?
Il y en a beaucoup ! Mon hôtel est un ERP de cinquième catégorie, recevant moins de cent personnes. A ce titre, plusieurs contraintes règlementaires et de sécurité pèsent sur l’hôtel. Ma piscine est contrôlée par l’ARS. Idem pour l’accessibilité aux personnes en situation de handicap et la sécurité incendie qui sont contrôlées. Dans les ERP avec locaux à sommeil, il est obligatoire d’avoir un veilleur de nuit, un gestionnaire ou le propriétaire qui veille à la sécurité des personnes la nuit. Cela n’existe pas concernant les locaux Airbnb puisque ce sont par définition des habitations ! Par ailleurs, nous avons prouvé juridiquement, avec des preuves solides, que la durée maximum de 120 jours de location par an n’était pas respectée dans tous les cas de location chez Airbnb. Enfin, nous travaillons pour que soit créée une sous-cinquième catégorie à laquelle des plateformes telle que Airbnb pourrait répondre.
En parallèle, vous déplorez les coûts de la masse salariale, pouvez-vous nous en dire plus ?
Tout à fait. Un hôtel dans la ruralité, ouvert toute l’année, cela représente une grosse équipe avec le cuistot, les serveurs, etc. L’hôtelier est confronté dans le même temps à une hausse des charges de l’énergie. Autre problématique, on assiste au développement de SCI (Société civile immobilière, ndlr) qui acquièrent de grands immeubles dans les grandes villes et s’adonnent à la location. Hors, 300 000 saisonniers sont demandés en France. Où les loger pour toute la saison ? Quelles solutions nous restent-ils ? Airbnb ? Les saisonniers cherchent généralement pour plusieurs mois, hors, en été, la plupart des locations Airbnb sont de très courte durée, pour la semaine ou le week-end.
Quelle marge de manœuvre avez-vous ?
Je suis en lien très étroit avec le président de l’Umih 34, les maires, présidents et élus de Terre de Camargue et Pays de l’or, dans le but de mettre en place une action commune avec Action logement. Il nous faut trouver des terrains afin de construire des logements saisonniers qui seront utilisés à cette fin pendant six mois, puis affectés aux étudiants le reste de l’année. Le tourisme représente 10% du PIB en France, 15% de l’économie locale. Si la volonté des politiques et des prestataires y est, nous pouvons réussir.
Vous abordiez également une inégalité en matière de taxe de séjour, pouvez-vous développer ?
Tout hébergeur à l’obligation d’être inscrit au fichier de la mairie, afin de déclarer sa taxe de séjour pour là lui verser. La municipalité a l’obligation de contrôler ses hébergeurs s’il y a une taxe d’hébergement en vigueur dans la commune. Or, certains hébergeurs ne sont tout simplement pas inscrits, il n’y a donc aucun contrôle sur le reversement de cette taxe. Certains maires sont assidus et font leur contrôle, d’autres non, je le regrette.